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Viril et vulnérable

Nous prenions un thé dans la véranda, une après-midi de septembre, quand Fabien, mon meilleur ami me fit le récit de ce qui lui était arrivé. Passé l’état de surprise et de choc, et rentrant dans le vif de la conversation, il me demanda subitement de l’aider à formaliser son témoignage, et de le publier une fois ce travail terminé. J’accepte instantanément.

Car je pense que ce témoignage est utile. Je pense qu’il est important de prendre le temps de le lire. Le voici.

« Je me suis rendu au centre de radiologie en plein mois de juillet pour une hernie inguinale. C'est une pathologie qui se trouve au niveau de l'aine de la jambe, zone délicate car proche des organes sexuels. La consultation s'est très bien passée, le radiologue m'a simplement demandé de baisser un peu mon caleçon pendant l’auscultation afin de voir s’il y avait un gonflement à cet endroit. À l’échographie rien n’était apparent. Ma hernie s’était résorbée.

Quelques jours après, alors que j’étais en pleine randonnée, en Corse, ma hernie est de nouveau apparue. J’avais effectué un effort physique trop important. Dès mon retour, je décidai de me rendre chez mon médecin traitant.

L’auscultation devait se réaliser nu. Les manipulations que le médecin devait effectuer n’étaient pas des plus agréables, mais elles étaient nécessaires. Il devait me palper au niveau du scrotum, en position allongée, puis debout, avec et sans contraction abdominale. Le médecin était alors obligé de glisser deux doigts sous mes testicules pendant quelques secondes, de me demander de tousser, afin de voir s’il y avait une anomalie. Même si cela fut assez désagréable, mon médecin traitant fut professionnel et prévenant à mon égard. Ces gestes ont été effectué en toute connaissance de cause de mon côté, après que le médecin m’ait bien expliqué les raisons de la palpation et comment il allait l’effectuer. Je me suis rhabillé dès l’examen fini. Le diagnostic était sans appel : j’allais sûrement devoir passer au bloc.

Je devais réaliser une deuxième échographie avant l’opération afin de confirmer ce premier diagnostic. Je décidai donc de retourner dans le même centre. Un assistant me demanda de me dénuder entièrement, en me prévenant que le médecin viendrait me chercher par la porte d’en face. Ayant vécu cette même expérience une première fois en pouvant gardant mon caleçon, je ne comprenais pas pourquoi il était nécessaire de tout enlever. Je décidai alors de le garder malgré ses indications. Au-delà du fait d’être pudique ou non, je n’avais tout simplement pas envie de me présenter nu comme un ver devant une personne que je n’avais encore sûrement jamais vue et jamais consultée. En effet, je ne connaissais pas le médecin qui m’ouvrit la porte. Il me demanda instantanément de retirer mon caleçon. Je m’exécutai sans broncher, en me disant que j’étais coincé, que ça n’était qu’un médecin, au fond, et qu’il avait sûrement déjà vu des fesses. Cela était sûrement vraiment nécessaire.

Le médecin était un vieil homme, souriant et sympathique. Il m’inspirait confiance, et j’interprétai son âge avancé comme un gage d’expérience, de compétence et de sagesse. Il se présenta à moi, et m’expliqua qu’il était retraité, et qu’il effectuait aujourd’hui un remplacement d’un collègue. À peine avait-il terminé sa dernière phrase qu’il se rua sur moi. Cela me surpris. Sans mon consentement, sans m’expliquer la finalité de ses gestes ni la suite, il posa ses mains sur moi et me palpa les testicules. Il toucha ensuite mon pénis, le maintenant d’un côté puis de l’autre. J’en déduis que cela était pour pouvoir ausculter mon scrotum. J’étais sidéré de ces manières brusques et incommodes, mais je pris alors cela pour de la maladresse.


Il me demanda ensuite de m’allonger. Pourtant, les gestes qu’il réalisait restaient identiques aux précédents. Notamment, il continuait de toucher mon pénis de manière répétée et insistante, en le déplaçant tantôt à gauche puis à droite sans interruption.

Il me mit ensuite du gel pour pouvoir effectuer l’échographie. Il en étala sur l’aine droite, gauche et le testicule gauche. Tout le long de l’échographie, il tint mon sexe dans sa main, et je m’en sentis terriblement gêné.


À la fin de l’examen, j’avais du gel partout. Il en avait mis partout. Sur mon pubis, et sur mes organes génitaux. Dans le même mouvement, il prit l’initiative de l’essuyer avec du papier. Excédé par ses gestes déplacés, je m’emparai du papier en lui disant que j’étais capable de le faire moi-même. Sa réaction me glaça. Il rit. Puis, me dit, d’une voix confuse, l’air un peu bête d’avoir été coupé dans sa lancée : « C’est vrai que tu es assez grand pour le faire. ».

L’examen se termina sur ces mots, et sur un diagnostic confirmé d’hernie inguinale gauche. Je devais donc bien me faire opérer.

Je sortis de cette consultation sans être dans un état de choc particulier. Je prenais alors sa maladresse et ses gestes brusque comme les marques d’un « trop » d’expérience. Il ne devait plus perdre son temps dans les précautions vaines. Il avait dû tout de suite repérer que ça n’allait pas. C’est pour ça qu’il n’avait sûrement pas pris le temps de l’explication. J’ai même ri de cette situation embarrassante et incongrue avec mes amis et ma famille, dans les quelques jours qui ont suivi cet événement. Pourtant je sentais que quelque chose posait problème. Mon récit n’alertait personne. Sans pudeur aucune, j’avais pourtant tout expliqué dans les détails. Personne n’avait été ni interloqué, ni surpris.


Peut-être parce que, même au plus profond de moi, j’avais du mal à me dire qu’il fallait considérer la chose sérieusement.

Une dizaine de jours passèrent. J’eu un nouveau rendez-vous, chez un chirurgien viscéral. Il prit le temps de m’ausculter. Il devait alors pratiquer exactement les mêmes manipulations que les autres médecins pour préciser le diagnostic. Seulement, il n’a pas du tout eu ni les mêmes demandes, ni les mêmes gestes lors de la consultation. Même si j’étais nu (il ne s’agissait pas d’une échographie, mais d’une consultation chirurgicale), je me sentais beaucoup plus à l’aise : il eut les mêmes gestes ou presque que ceux pratiqués par mon médecin traitant, passant seulement deux doigts sous mes testicules, en m’avertissant au fur et à mesure de chaque geste effectué.

C’est en sortant de cette consultation qu’un malaise profond s’installa. Je me sentis terriblement mal. Les souvenirs de la consultation avec le médecin retraité se bousculèrent en cascade dans mon esprit. Je compris très vite que quelque chose d’anormal s’était produit. Ses gestes déplacés, ses regards, tout ce qu’il faisait passer pour de la maladresse, malgré des années d’expérience dans le domaine, rien n’avait été laissé au hasard. Il avait profité de son statut pour abuser de ma confiance. C’était ce qui m’avait empêcher de voir la vérité jusqu’alors. Avec du recul je pense que les mots employés sont justes : j’ai subi un attouchement sexuel.

Je ne peux pas dire que j’ai été atteint psychologiquement de manière durable par cet acte. J’ai mal dormi quelques nuits, j’étais déprimé et sous le choc pendant une semaine, mais j’ai réussi à relativiser. J’ai 21 ans, je me connais, et je me sens bien dans ma tête et dans mes baskets. Sur le plan sexuel notamment, je ne ressens aucun problème. Je suis à l’aise avec mon corps et avec moi-même, après quelques difficiles années d’adolescence. Je ne ressens aucun traumatisme à l’égard de ce qui m’est arrivé, dans le sens où cela ne vient en rien mettre le doute sur mon identité, ni sur mes convictions. Mais ce n’est pas pour cela que mon cerveau n’a pas été remué dans tous les sens, soumis à des questionnements divers, rien qu’à l’idée de me dire que je n’avais sûrement pas été le premier.

J’ai été bouleversé à la simple idée que cet homme avait une carrière entière derrière lui. Je ne connais pas son passé, mais imaginer que ce dernier était en pleine récidive avec moi me donnait envie de gerber. Je me demandais si ce dernier avait eu les mêmes gestes avec des filles, des garçons plus jeunes que moi. J’ai aussi été adolescent, et je n’ose même pas imaginer à quel point cela peut être traumatisant pour des jeunes qui se cherchent. À quel point cela peut mettre le doute sur son propre corps, sa propre sexualité, ou son orientation sexuelle. Je me suis projeté quelques minutes en me disant que j’aurais pu avoir une érection, à force de stimulation sexuelle répétée et abusive du médecin, et que cela m’aurait mis profondément mal à l’aise, non pas vis-à-vis de lui mais vis-à-vis de moi-même. Au même titre qu’un jeune aurait pu ressentir cette terrible gêne. Personne n’avait-il jamais signalé ce praticien ?

J’en viens ensuite au pouvoir lié à son statut. Avant toute chose, je tiens à dire que j’ai eu affaire à un cas isolé. Les médecins sont formés à la prise en charge médicale des patients, ce qui induit un droit à l’intimité et un respect des individus. Je me forme à la profession de kinésithérapeute, et suis moi-même gêné lorsque je dois masser certaines personnes à des endroits « délicats ». Mais j’estime que le médecin doit endosser un rôle de pédagogue avec ses patients, et ne doit plus se contenter de leur expliquer leur mal, mais pourquoi et comment ils ont mal. Je reproche au médecin qui m’a abusé d’avoir réalisé des gestes déplacés et de ne pas m’avoir expliqué à quelles fins il était obligé de faire cela. Lui était parfaitement conscient qu’il était impossible pour moi de remettre en question sa manière de faire, car il est celui qui détient le savoir. Si je devais tirer une leçon, donner un conseil, après cette expérience malencontreuse je vous dirais de ne jamais hésiter à poser des questions pendant une consultation. Je me suis aussi fait la réflexion que jamais je ne laisserai un mineur seul en consultation sans la présence des parents.

J’ai fait le récit de mes mésaventures à mes proches, en long et en large. Mes parents ont peu réagi sur le moment, même s’ils étaient très attentifs à mon discours. J’avais l’impression qu’ils ne prenaient pas vraiment conscience de la situation. Je ne les blâme pas, très loin de là, j’ai cette chance d’avoir des parents à l’écoute et présents, avec qui il est facile de parler de ce type de sujet.


Mais comme pour les autres, je constate que, parce que je suis un garçon, je ne suis pas pris au sérieux quand je parle d’attouchement sexuel. Parce que je suis un garçon, je suis censé être fort, passer l’éponge, ne pas me plaindre ni m’apitoyer sur ce qu’il a pu m’arriver en société. Ça m’a mis en rogne. J’avais le sentiment d’une injustice. Moi, Fabien, grand gaillard d’1m86 je devais rester solide, malgré la gravité certaine des événements. J’ai du mal à saisir les origines profondes de ce que je perçois comme un manque d’empathie envers la gente masculine. Si on avait ajouté ne serait-ce qu’un -e à mon nom, et que j’avais rendu mon témoignage public, j’aurais sûrement été plus soutenu, et la société, toute entière, aurait crié au scandale. En revanche, on ne peut concevoir une seule seconde que cela puisse arriver, aussi, aux mecs. Nous avons été conditionnés, partout, depuis toujours à raisonner ainsi, et ce biais est un fléau. Un exemple me semble parler de lui-même : pourquoi, encore trop souvent, les hommes battus attirent-ils plus la haine que l’empathie de leurs pairs ? La douleur d’évoquer des sujets aussi difficiles est redoublée par la honte engendrée par le regard haineux que l’on porte sur nous.

J’ai beaucoup hésité avant de livrer mon témoignage. Pas facile de parler de cette expérience sur le net, au vu et su de tous. Mais j’estime que ma parole est utile, et j’espère qu’elle sera préventive. Si cela permet d’aider si cela n’est qu’une personne, je serais déjà extrêmement satisfait. Je pense qu’il est temps pour chacun de nous de réfléchir sur notre manière de concevoir les agressions et les réactions socialement normée qui doivent s’en suivre.

Je pense avant tout qu’il est important de communiquer. Communiquer avec son médecin lors d’une consultation, parler avec ses parents d’un geste qui nous a mis mal à l’aise. Je pense que les garçons ont non seulement le droit, mais il est de leur devoir de sortir du silence des violences qu’ils ont pu subir. Je pense que les gens doivent prendre ces souffrances telles qu’elles sont, et non pas comme le témoignage d’une faiblesse intrinsèque portant atteinte à la virilité. L’empathie n’est pas un sentiment féminin. Il faut écouter vos enfants, et j’insiste sur l’importance de toujours les accompagner en consultation lorsqu’ils sont mineurs.

Un geste déplacé arrive rarement, mais lorsqu’il arrive, vous regrettez toute votre vie de vous être conforté dans cet état d’esprit insouciant. »

Fabien

Avec l’aide de Myriam

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