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Petite introduction à la notion d'écoféminisme

A l’occasion de la Semaine étudiante du développement durable organisée par le Noise, Olympe s’est penchée sur le sujet de l’écoféminisme.


L’experte française est Jeanne Burgart Goutal, autrice de Être écoféministe : théories et pratiques. Cette professeure de philosophie à l’université d’Aix Marseille a dédié une thèse à ce concept et l’a ainsi éclairci pour nous.


Nous tenons à préciser que cet article vise à présenter un mouvement et quelques-uns de ses multiples courants, non pas à afficher une prise de position immuable de tou.te.s les membres d’Aware.


En bref : Qu’est-ce que l’écoféminisme ?


Entreprendre une définition de ce concept est assez ambitieux. Ce qui est certain, c’est que l’écoféminisme n’est pas un mélange d’écologie et de féminisme. L’écoféminisme est une théorie aux multiples aspects et caractérisée par l’absence d’unification de ses différents courants.

L’idée principale est qu’il existe un lien étroit entre les dominations exercées sur la femme et sur la nature, toutes deux issues de la société actuelle, et de sa structure hiérarchique.



De multiples courants, de multiples théories et pratiques


Les formes de l'écoféminisme


Le mouvement écoféministe est caractérisé par l’originalité de ses modes d’action. Toujours pacifiques, les manifestations écoféministes aiment à reprendre les clichés féminins pour en faire la force de leur voix.

Par exemple, aux États-Unis en 1979, les militantes ont tissé des toiles d’araignée géantes autour du pentagone, détournant ainsi l’activité passive et inoffensive de la broderie féminine. De même, à GreenHam Common en Grande-Bretagne, les militantes brodaient des objets qu’elles accrochaient sur le grillage de la base militaire. Elles dansaient et faisaient des grimaces devant les soldats plantés de l’autre côté du grillage.

Les manifestations écoféministes ont pour but de dérouter et d’interpeller. L’objectif est de manifester sans violence, tout en restant ferme afin d’obtenir gain de cause.

L’art est beaucoup employé, sous forme de peintures, de chants, de danses. La fiction relaie également la pensée écoféministe en tentant de transformer les modes de pensée.


Par ailleurs, l’écoféminisme est caractérisé par la place importante qu’il laisse à la spiritualité. Les écoféministes organisent des rituels, des regroupements, des danses de sorcières. Elles reprennent et jouent de l’historique de la femme crainte aux pouvoirs surnaturels.



Les diverses approches des liens de domination


Une première approche consiste en l’analogie dans la manière dont les femmes et la nature sont dominées. D’ailleurs, les mêmes termes sont utilisés pour désigner cette relation : “oppression”, “exploitation”, “dévalorisation”. Le slogan “Ni les femmes Ni la terre” résume cette relation analogique.


D’autres écoféministes poussent la relation jusqu’à la causalité.

Selon cette deuxième approche, les hommes sont habitués à dominer les femmes du fait de leur évolution dans un système patriarcal qui leur donne raison et pouvoir. Dès lors, les hommes sont habitués à dominer et appliquent ce système à l’environnement.

Cette approche est inspirée de l’écologie sociale de Murray Bookchin pour qui la volonté de maîtrise de la nature vient de la hiérarchisation maître-esclave propre à la société de laquelle il est contemporaine. Les écoféministes reprennent et adaptent cette théorie en ce qui concerne la hiérarchisation homme-femme.


Par ailleurs, la causalité peut également être expliquée en retournant le sens de la relation.

En effet, certaines écoféministes théorisent davantage une influence de la domination de la nature sur la domination de la femme, c’est-à-dire qu’en apprenant à inférioriser la nature, l’homme entretient le désir d’inférioriser tout son environnement, y compris les femmes. Cette approche s’inspire davantage de Simone de Beauvoir, pour qui l’être humain ne devient lui-même que lorsqu’il domine ce qu’il y a autour de lui.


D’autre part, l’écoféminisme fait également référence à une justice environnementale.

Par exemple, les femmes sont les plus touchées par la destruction de l’environnement étant donné qu’elles sont en moyenne plus pauvres que les hommes ; d’autant plus que les comportements antiécologiques sont associés aux valeurs viriles, entre autres la consommation excessive de viande, l’utilisation de véhicules polluants ou bien la direction d’entreprises lourdement émettrices de rejets carboniques.

Les rapports récents d’Oxfam France soulignent bien la relation croissante entre revenu et émission de CO2 ainsi que la corrélation entre genre et émissions (cf. sources).

La crise écologique est vécue de façon différenciée selon les genres, et les femmes se sentent particulièrement touchées et mises en danger par ce tournant environnemental.



Des théories de la masculinité


Contrairement aux idées reçues, la grande majorité des théories écoféministes ne considère pas l’homme comme l’ennemi. C’est bien davantage un système qui est incriminé, un modèle patriarcal auquel consentent à la fois les hommes et les femmes. Ce système historique est considéré comme une habitude, le mode de vie et de pensée majoritaire. La cause de la domination du sexe masculin sur le sexe féminin n’est donc pas portée par des individus à pointer et à punir, mais bien plus par la persistance d’un système défaillant, au cours duquel une société complète s’est mise en fonctionnement.

Les relations entre femmes et hommes se sont construites sur la base d’une dualité qui préfère le masculin au féminin, jusque dans la grammaire. Les écoféministes perçoivent la masculinité comme un ensemble de caractéristiques qui traversent les hommes comme les femmes, mais qui sont associées comme étant propres au genre masculin et valorisées dans l’ensemble de la société. Ainsi des valeurs telles que la productivité, la force, l’intellect, la rationalité et l’indépendance sont-elles perçues comme supérieures aux qualités dites féminines, telles que la sensibilité ou le relationnel.

Du fait de la déficience de ce modèle et des inégalités qu’il engendre, l'écoféminisme inspiré de Simone de Beauvoir cherche à élever la femme à la condition de l’homme. Cette approche veut corriger les injustices subies par les femmes et démontrer que celles-ci peuvent faire aussi bien que les hommes. En fait, il s’agit de masculiniser les femmes, de construire un système de valeurs où les qualités valorisées ne sont plus propres aux hommes mais bien partageables et partagées entre les genres.

Cependant, faire des femmes des hommes libres risque d’impliquer un rejet complet de la féminité et de ses attributs, la poitrine, la maternité ou bien les menstruations, et peut engendrer une honte d’être femme.


D’autres écoféministes rejettent donc cette approche en arguant que la figure masculine actuelle est tout sauf attrayante. “Qui voudrait une part égale d’une tarte cancérogène pourrie ?”. Si s’élever au niveau des hommes signifie gagner autant, exploiter autant, elles n’en voient pas l’intérêt.

Vandana Shira et Marie Mies théorisent ce concept par le terme de “stratégie de rattrapage”. D’une part, le rattrapage dont il est question n’est pas enviable, d’autre part, il n’est pas viable. Tout le monde ne peut pas se placer au sommet de la pyramide, gagner beaucoup d’argent et avoir du personnel à son service.


Une autre approche consiste donc à tenter de revaloriser les qualités dites féminines et à les assumer pleinement. Mais d’après Val Plumwood, le problème vient de cette structure dualiste de la société qui enferme les individus dans des identités genrées qui ne correspondent à aucune réalité.

Certaines écoféministes sont donc à la recherche d’une troisième voie, ambitieuse, presque vertigineuse, qui permettrait la construction d’identités souples en abolissant la dualité des genres qui règne dans la société actuelle. Il faudrait alors repenser en profondeur les relations entre masculin et féminin, de même que les rapports entre l’humanité et l’environnement.



Perspective historique et géographique : d’où vient l’écoféminisme ? Qu’en est-il aujourd’hui ?


Les origines de l’écoféminisme :


En France


On attribue la première apparition du mot “écoféminisme” à Françoise D’EAUBONNE dans son ouvrage de 1974 intitulé Le féminisme ou la mort.

Elle était l’une des cofondatrices du MLF (Mouvement de libération des femmes), le terme trouve donc son origine du côté du féminisme dit radical mais à l’aube de la crise environnementale.

A cette époque, le féminisme s’intéressait davantage au contrôle des femmes sur leur propre fertilité. Or, un problème écologique et social émerge au même moment : la “surpopulation” qui, d'un point de vue malthusien, mène à l’épuisement des ressources.



Aux Etats-Unis


En 1979, un accident dans une centrale sur la Côte Est soulève la question du nucléaire civil et militaire.

Or, cet événement survient en plein contexte de combat pour les droits des femmes et des nati.f.ve.s ( « indigènes »)

C’est alors que les luttes convergent. Se construisent des premiers mouvements pour une écologie sociale et politique. Par exemple, un ensemble de militantes engagées dans différentes causes se rassemblèrent pour participer à des marches autour du pentagone.


En Grande- Bretagne


C’est en 1981 que se crée le campement de Greenham Common pour protester contre l’installation de missiles nucléaires sur la base Royal Air Force du même nom.

Le lieu est celui d’un mode de vie alternatif qui incarne les idéaux portés : non patriarcal, non capitaliste, non dévoreur de ressources.

La composition du campement n’est pas mixte pour une raison précise : les femmes désiraient développer des compétences qui n’auraient pas éclos en présence d’hommes.

Les militantes étaient au départ 36 et leur nombre pouvait augmenter jusqu’à 30 000 pour certaines actions (toujours pacifistes). La dernière militante a quitté les lieux en 2000.


Au Japon et en Amérique latine…

Il nous faut souligner que le terme écoféminisme n’est pas employé. Néanmoins, nous pouvons identifier depuis les années 1970 une lutte des femmes et un mouvement d’émancipation (empowerment) ainsi que de remise en cause du modèle patriarcal et capitaliste.

En ce qui concerne l’Amérique Latine, l’attachement à la terre est encore très présent dans les communautés dites “indigènes”, la divinité Pachamama représente la terre mère et ainsi joint fertilité de la nature et des femmes.


En Afrique :

En 1977, la Kenyane Wangari Maathai crée l’une des premières associations que l’on pourrait considérer comme écoféministe : The Green Belt Movement. Il n’est pas vain de souligner que le mouvement a été l’une des solutions au blocage du Kenya dans une économie de subsistance. De plus, la plantation d’arbres encouragée par l’association garantit une meilleure résistance du territoire à la crise climatique.

Wangari Maathai a reçu le Prix Nobel de la paix en 2004 et est une figure importante du continent en matière de lutte écologiste et féministe.


Ainsi, c’est dans les années 1970 qu’une tendance quasi-mondiale s’installe. Et ce, avant de ralentir dans les années 1990 dans un contexte d’effondrement des idéaux.



L’écoféminisme aujourd’hui (déclin et reprise du mouvement, incarnations actuelles)


À partir du milieu des années 1990, l’écoféminisme décline. Les diversités théoriques sont telles que le mouvement se fissure.

Ce féminisme incarné par des théoriciennes blanches, bien qu’il mette en avant l’intersectionnalité, est critiqué et qualifié d’élitiste. De plus, la vague libérale initiée dans les années 1980 et affirmée par la chute du mur de Berlin donne un coup d’arrêt au temps des utopies. La mode est désormais à la rationalité, et l’écoféminisme s’endort pour vingt années.


Mais en décembre 2015, à l’occasion de la COP21, l’écoféminisme prend son sens à nouveau. De plus, on assiste à un regain du mouvement féministe en général depuis l’affaire Weinstein et la mobilisation autour de #MeToo.

Cependant, du fait du développement de divers mouvements écologistes et féministes, il existe une récupération de la pensée écoféministe qui donne lieu à des comportements de greenwashing et de pinkwashing. Même si ces récupérations ne sont pas représentatives de l'écoféminisme tel qu’il est historiquement théorisé, elles donnent de la visibilité au mouvement, et ne constituent pas un obstacle au développement de la pensée écoféminsite selon Jeanne Burgart Goutal.


Toutefois, en France, l’écoféminisme a du mal à s’implanter du fait de son aspect spirituel. La tradition française des Lumières et de la rationalité à tout prix met en péril toute tentative de retour à la nature par la spiritualité. Le mouvement reste d’autant plus sous-jacent en France, que certaines féministes craignent qu’un mode de vie tourné vers l’environnement renvoie la femme à un rôle de gardienne de la nature, comme elle l’a été pour le logis.

Le risque serait dans l’essentialisation de la femme à la sphère naturelle, un argument utilisé durant des centaines d’années par le patriarcat pour déresponsabiliser la femme et la maintenir dans une forme d’innocence, hors des affaires de la société. Les féministes craignent alors un retour au mythe de la femme nymphe.

D’autre part, selon Benoîte Groult, “Renoncer dans un bel élan écolo aux gadgets ménagers, à la soupe en sachet, aux petits pots pour les bébés, c’est enchaîner la femme à son évier”. Mais ce raisonnement part du principe que la femme est assignée aux corvées ménagères et donne raison au “Moulinex libère la femme”. Or, rien ne prédispose les femmes à demeurer au foyer.

Une répartition égalitaire des rôles dans les ménages annihile le problème de l’essentialisation de la femme à la sphère naturelle et de l’augmentation du temps passé à effectuer les corvées.


Conclusion


Vous l’aurez compris, l’écoféminisme est loin d’être un mouvement simple, mais c’est précisément ce qui le rend si diablement intéressant. Nous espérons avoir réussi à vous le faire découvrir ou appréhender un peu mieux à travers cet article.



Pour aller plus loin:


- Solutions locales pour un désordre global https://www.youtube.com/watch?v=3q_xzQ7pRi4

- Rosemary RADFORD RUETHER, New woman, New earth : attention au rôle qu’on risque de faire jouer aux femmes dans la crise écologique, passant de fée du logis à fée de la planète

- Le Nouveau Monde de Terrence Malick évoque une technique de danse libre qui par opposition nous fait sentir à quel point nous manquons de liberté. L’objectif est de se réapproprier une liberté que l’on conquiert à l’intérieur du corps et que l’on ne va pas chercher à l’extérieur.


Sources :


- Conférence organisée par le Noise Sorbonne en Mars 2020

- Podcast France Culture, Les chemins de la philosophie https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/les-chemins-de-la-philosophie-emission-du-vendredi-18-septembre-2020

- Article du 14 Février 2020 “L’écoféminisme africain : volet méconnu du militantisme féministe et écologiste” par Jasmine Bousquet https://lalterego.fr/2020/02/14/lecofeminisme-africain/

- Rapport Oxfam France “Combattre les inégalités des émissions de co2 : La justice climatique au cœur de la reprise post COVID-19https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2020/09/Resume-Rapport-Oxfam-Combattre-Inegalites-Emissions-CO2.pdf

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